Me Caroline Rhéaume, Avocate, M.fisc., TEP

La clause de rajustement du prix : alliée ou ennemie?

La clause de rajustement du prix : alliée ou ennemie?

La planification de gel successoral est sans doute l’une des plus populaires auprès des gens d’affaires.
Puisque la transaction s’effectue généralement entre personnes ayant un lien de dépendance, le prix de vente doit représenter la juste valeur marchande (« JVM ») des actifs transférés. Comme l’établissement de la JVM n’est pas une science exacte, une clause de rajustement du prix est alors insérée dans le contrat de vente et de roulement en cas de contestation par les autorités fiscales de ladite JVM.  De façon générale, cette clause stipule que dans le cas où la valeur établie par le Ministère différerait de celle établie par les parties, celles-ci utiliseront l’évaluation du Ministère pour leur transaction. Ce dernier tiendra compte de cet accord dans la mesure où certaines conditions sont remplies. Le Bulletin d’interprétation IT-169 intitulé « Clauses de rajustement du prix », daté du 6 août 1974, présente les conditions à remplir afin qu’une clause de rajustement du prix soit reconnue par l’Agence du revenu du Canada (« ARC »). On y précise, entre autres, que le Ministère tiendra compte de l’accord dans la mesure où « l’accord révèle que les parties ont réellement l’intention de transférer le bien à sa juste valeur marchande et établit cette valeur, aux fins de l’arrangement, par une méthode juste et raisonnable ».

Puisque la période normale de nouvelle cotisation est de trois ans suivant la première cotisation, une fois ce délai passé, peu de contribuables s’attendent à ce que la transaction de gel soit remise en cause.

Or, l’ARC a publié, en mai 2012, l’interprétation technique 2011-0429991E5 présentant ses commentaires sur les effets d’une clause de rajustement du prix retrouvée dans un contrat de vente et de roulement datant de plus de 16 ans.

Les faits soumis à l’ARC sont les suivants :

  • M. A détient toutes les actions ordinaires émises et en circulation (« anciennes actions ») du capital-actions d’Opco.
  • Dans l’année 1, M. A échange la totalité de ses actions ordinaires en contrepartie d’actions privilégiées de roulement dans le cadre d’un remaniement de capital en vertu du paragraphe 86(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »). Le but de la transaction est de procéder à un gel successoral d’Opco en faveur de l’enfant de M. A.
  • Parmi les droits et privilèges attachés aux actions de roulement se trouve une clause de rajustement du prix. De plus, une telle clause se retrouve dans le contrat de vente d’actions et de roulement.
  • À la suite du décès de M. A survenu dans l’année 16, sa succession fait une demande afin d’obtenir un certificat avant répartition en vertu du paragraphe 159(2) L.I.R.
  • Dans le cadre de son examen du dossier, l’ARC soulève que la valeur utilisée en l’an 1 pour les actions ordinaires ayant fait l’objet du gel était inférieure à la JVM de ces actions à ce moment.

L’ARC a donc augmenté la valeur des actions de gel en l’an 1, cela ayant pour effet d’augmenter l’impôt au décès de M. A, compte tenu de l’application du paragraphe 70(5) L.I.R. qui prévoit qu’un contribuable est réputé avoir disposé de ses immobilisations immédiatement avant son décès pour un prix égal à leur JVM.

Les questions posées à l’ARC dans le cadre de l’interprétation technique sont les suivantes :

  1. Est-ce qu’une clause de rajustement du prix retrouvée dans les statuts constitutifs d’une société ou dans un contrat d’achat-vente peut être remise en cause après la période normale de nouvelle cotisation aux termes du paragraphe 152(4) L.I.R.? Plus précisément, l’ARC peut-elle revoir à la hausse la valeur de rachat des actions de gel plus de 15 années après leur émission aux fins du paragraphe 70(5) L.I.R.?
  2. Si l’évaluation des actions en l’an 1 n’a pas fait l’objet d’un effort raisonnable et que la clause de rajustement du prix n’est pas reconnue par l’ARC, cela empêche-t-il l’ARC de revoir la valeur des actions de gel?
  3. Si une erreur de bonne foi a été commise lors de l’évaluation des actions ordinaires entraînant une sous-évaluation, est-ce que la valeur des actions de gel sera automatiquement revue à la hausse?

L’ARC présente les commentaires suivants aux questions soulevées.

1. La clause de rajustement du prix est valide

Selon l’ARC, si la clause de rajustement du prix est valide, son application aura généralement un effet rétroactif à la date de la transaction visée par la clause. L’ARC se réfère notamment à l’affaire Gurberg c. Québec, [2006] R.D.F.Q. 36 (C.A.). Dans cette affaire, un gel successoral avait été mis en oeuvre le 31 décembre 1988 alors que le rapport d’évaluation des actions ordinaires datait du 30 juin 1988. Le contribuable est décédé le 13 août 1991 alors que sa conjointe, qui avait reçu les actions de gel par suite du décès du contribuable, est décédée le 27 janvier 1992, date de la disposition réputée des actions à leur JVM. Le rapport d’évaluation donnait une valeur de 7,9 M$ aux actions ordinaires alors que l’ARC, à la suite d’une cotisation, avait établi qu’elles valaient plutôt 9,7 M$. Dans cette affaire, le Ministère soutient que la clause de rajustement du prix en cause prévoit que dans l’éventualité où une autorité fiscale compétente devait déterminer de manière finale et sans appel que la JVM des actions de gel était en fait différente de la valeur attribuée par les parties, celles-ci allaient rajuster la valeur des actions en conséquence. Les représentants légaux du contribuable décédé prétendaient que la valeur des actions de gel ne pouvait être modifiée puisque l’année au cours de laquelle le gel avait été effectué était prescrite. La Cour en est venue à la conclusion que puisqu’une entente était déjà intervenue à ce sujet avec l’ARC, la clause de rajustement du prix devait être applicable à Revenu Québec avec un effet rétroactif à la date d’émission des actions de gel.


2. La clause de rajustement du prix n’est pas valide

Dans la mesure où il y a un écart important entre la JVM établie par l’ARC et celle déterminée par le contribuable, ceci peut être une indication que le contribuable n’a pas fait un effort raisonnable afin de déterminer la JVM du bien transféré. Dans un tel cas, la clause de rajustement du prix ne serait pas reconnue.

 

3. Application de ces principes au scénario soumis

Selon l’ARC, dans le cas soumis, si la clause de rajustement du prix est valide, celle-ci aurait un effet rétroactif à l’an 1. Par exemple, si la valeur utilisée lors du gel était de 4,5 M$ et qu’elle est rajustée à 5 M$ à la suite d’une cotisation de l’ARC et qu’il y a entente entre les parties à ce sujet, les actions de gel auraient donc une valeur de rachat de 5 M$ et non pas de 4,5 M$. L’alinéa 152(4)a) et le paragraphe 86(2) L.I.R. ne s’appliqueraient pas. Aux fins du paragraphe 70(5) L.I.R., le produit de disposition réputé reçu par M. A pour ses actions de gel immédiatement avant son décès serait égal à la JVM des actions, rajustée selon la clause de rajustement du prix, soit 5 M$.

Toutefois, si la clause de rajustement du prix n’était pas reconnue, la JVM des actions de gel ne serait pas modifiée. Elle demeurerait à 4,5 M$. Le manque d’effort raisonnable pour établir la JVM des actions ordinaires pourrait être considéré comme une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire aux fins du sous-alinéa 152(4)a)(i) L.I.R. Cela permettrait alors à l’ARC d’appliquer le paragraphe 86(2) L.I.R. à M. A. Ainsi, la différence entre la véritable JVM des actions ordinaires et la valeur utilisée lors du gel pourrait être traitée comme un avantage que M. A a voulu conférer à son enfant.  Par ailleurs, cet excédent aurait pour effet d’augmenter la JVM des nouvelles actions ordinaires émises dans le cadre du gel. Cet excédent pourrait donc être imposable entre les mains de l’enfant de M. A lors d’une disposition de ses actions ordinaires. Lors d’une telle disposition, si un gain en capital devait être réalisé, l’alinéa 110.6(7)b) L.I.R. pourrait s’appliquer de sorte à refuser toute déduction pour gains en capital (« DGC ») réclamée par un détenteur des nouvelles actions ordinaires. Il appert que l’ARC pourrait soutenir que la disposition des nouvelles actions ordinaires fait partie d’une série de transactions ou d’événements en vertu de laquelle les anciennes actions ordinaires ont été acquises par Opco pour une contrepartie inférieure à leur JVM.
Que faut-il retenir?

Il est intéressant de noter que l’ARC semble démontrer un intérêt particulier depuis quelques années pour les clauses de rajustement du prix. Signalons l’interprétation technique 2010-0366301I7 du 2 novembre 2010 ainsi que la question 1 de la Table ronde sur la fiscalité fédérale présentée le 5 octobre dernier dans le cadre du Congrès 2012 de l’APFF qui font référence à l’utilisation d’une clause de rajustement du prix dans un contexte où le paragraphe 75(2) L.I.R. s’applique. Un examen attentif des clauses de rajustement du prix que nous insérons dans nos documents corporatifs semble de mise.

La méthode d’évaluation des actions et sa raisonnabilité ne sont pas à prendre à la légère. Bien souvent, le gel est fait pour une valeur inférieure à la valeur qui serait utilisée si la société devait être vendue, surtout lorsque la possibilité de multiplier la DGC à la vente d’actions admissibles de petite entreprise est présente. Compte tenu des impacts négatifs reliés au rajustement de la valeur des actions de gel, la prudence est de mise.

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