Me Caroline Rhéaume, Avocate, M.fisc., TEP

Jusqu’où ira la curiosité de nos gouvernements ?

Le gouvernement fédéral a annoncé qu’à compter de 2021, certaines fiducies devront déclarer l’identité de tous leurs fiduciaires, bénéficiaires et constituants, ainsi que le nom de toute personne qui exerce un contrôle sur les décisions des fiduciaires (ex. : un protecteur). Cette mesure s’ajoute aux autres initiatives déjà en place en vue de combattre l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent.

Selon les règles actuelles, une fiducie familiale peut demeurer relativement privée. D’ailleurs, bien des gens qui sont bénéficiaires d’une fiducie ne le savent pas. Plusieurs fiducies étant discrétionnaires, les fiduciaires ont généralement le pouvoir de verser du revenu et du capital aux bénéficiaires de leur choix, parmi ceux mentionnés dans l’acte de fiducie, mais n’ont pas l’obligation de le faire. Comme il est difficile de modifier un acte de fiducie sans en faire la demande au tribunal, une pratique est de prévoir plusieurs bénéficiaires dans l’acte de fiducie.

En matière de conformité fiscale, les fiducies qui ne gagnent pas de revenus, comme les fiducies qui détiennent une résidence familiale ou un chalet ou une propriété résidentielle aux États-Unis ou qui détiennent des actions de sociétés privées qui ne versent pas de dividendes, ne produisaient pas toujours des déclarations de revenus.

Or, les choses vont changer à compter de 2021. La plupart des fiducies devront produire une déclaration de revenus en plus d’une annexe indiquant le nom, l’adresse, la date de naissance, la juridiction de résidence et le numéro d’identification fiscale (qui est le numéro d’assurance sociale pour une personne physique) du constituant, des fiduciaires, des bénéficiaires et des personnes exerçant un contrôle sur la fiducie. Obtenir la date de naissance d’un bénéficiaire peut souvent se faire sans nécessairement le demander directement au bénéficiaire, un membre de la famille ayant souvent cette information. Toutefois, le numéro d’assurance sociale d’une personne s’obtient difficilement sans en faire la demande à la personne concernée. Ceux qui apprendront qu’ils sont bénéficiaires d’une fiducie voudront probablement en connaître plus sur leurs droits. Des pénalités importantes sont prévues en cas de défaut de fournir l’information requise.

Plus récemment, le gouvernement du Québec annonçait que les entreprises qui sont tenues de s’immatriculer auprès du Registraire des entreprises (REQ) devront fournir au REQ l’information permettant d’identifier leurs bénéficiaires ultimes et qu’il sera désormais possible de faire des recherches dans le registre des entreprises en utilisant le nom d’une personne physique[1]. Dans le cas où la propriété ou le contrôle d’une société est détenu ultimement par une fiducie, les noms du constituant, du fiduciaire et des bénéficiaires devront être divulgués. Un projet de loi visant ces mesures devrait, en principe, être présenté au cours des prochains mois.

Nous constatons que la confidentialité des actes de fiducie sera de plus en plus difficile à maintenir. Bien des clients ne se réjouissent pas à l’idée d’avoir à expliquer les raisons ayant motivé la mise en place de leur fiducie aux bénéficiaires curieux. Il est assurément le temps d’examiner les fiducies en place et de commencer la collecte des informations requises. Certaines fiducies pourront même être liquidées en 2020 si elles n’ont plus d’utilité.

La planification fiscale devra désormais se faire en ayant ces nouvelles obligations de divulgation en tête. De beaux casse-têtes en vue.

[1] Voir les renseignements additionnels qui accompagnent le budget 2020-2021 du gouvernement du Québec aux pages B.31 à B.38 http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/2020-2021/fr/documents/Budget2021_RenseignementsAdd.pdf.