Me Caroline Rhéaume, Avocate, M.fisc., TEP

Informations générales pour ceux voulant mettre en place une fiducie de droit civil

Création d’une fiducie entre vifs.

Au niveau du droit civil, une fiducie est un patrimoine d’affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire. Les actifs transférés dans une fiducie ne font donc plus partie de vos actifs personnels.  Le constituant est la personne qui crée la fiducie. Généralement, cette personne est un membre de la famille (père ou mère, par exemple) ou un ami proche qui ne sera pas bénéficiaire ni fiduciaire de la fiducie. Le rôle du constituant est très limité.  De façon générale, la constitution de la fiducie se fait par la donation d’un lingot d’argent du constituant en faveur de la fiducie.

Les fiduciaires sont les personnes qui administrent la fiducie. Selon le Code Civil du Québec, il doit toujours y avoir au moins un fiduciaire qui n’est pas bénéficiaire de la fiducie. Vous pourriez être un des fiduciaires de votre fiducie avec une ou des personnes de confiance.

Les bénéficiaires sont ceux qui reçoivent du revenu et/ou du capital de la fiducie.  Comme bénéficiaires, nous pouvons pensez à vos enfants et petits-enfants nés et à naître. Si vous désirez éventuellement avantager d’autres personnes (père, mère, neveux, nièces par exemple), elles pourraient faire partie des bénéficiaires. Une société à être constituée dans le futur peut également faire partie de la liste des bénéficiaires. Certaines règles d’attribution fiscales restreignent les possibilités de planification lorsque des enfants mineurs ou un conjoint font partie des bénéficiaires. Ces règles doivent donc être analysées avant la mise en place de la fiducie.

Il est à noter qu’il faut généralement aller devant le tribunal pour faire modifier un acte de fiducie.  D’où l’importance de bien le rédiger dès le début.

Imposition de la fiducie entre vifs

Au niveau fiscal, une fiducie créée autrement que par un testament est une fiducie dite non testamentaire ou entre vifs. L’année d’imposition d’une fiducie entre vifs est l’année civile. La déclaration de revenus de la fiducie doit être produite dans les 90 jours suivant la fin de l’année. Les revenus de la fiducie entre vifs sont automatiquement imposés au taux marginal d’imposition le plus élevé.  Donc, un dividende sera imposable au taux de 35,22 % pour un dividende déterminé (dividende versé sur des actions de sociétés publiques ou à même les revenus d’une société privée qui ne bénéficient pas du taux réduit d’imposition sur le revenu d’entreprise active) et au taux de 39,78 % pour un dividende ordinaire. Un revenu d’intérêt est imposable au taux de 49,97 %.

Il faut noter que le paiement de dividendes de sociétés privées d’une fiducie à un bénéficiaire mineur déclenchera le kiddie tax ou impôt des enfants mineurs. Ceci a pour effet d’imposer le dividende entre les mains de l’enfant mineur au taux marginal maximal d’imposition. C’est pourquoi des dividendes ne sont généralement versés qu’à partir du moment où l’enfant atteint l’âge de 18 ans.

Fiducie agissant comme un conduit

Les revenus gagnés par une fiducie conserve généralement leur nature lorsque versés à un bénéficiaire. La fiducie est en quelque sorte un conduit.  Par exemple, si une fiducie entre vifs détient des actions dans une société privée, des dividendes pourront être versés de la société à la fiducie.

Si la fiducie entre vifs conserve le dividende, elle doit payer un impôt au taux marginal.  La fiducie peut également choisir de payer ou de rendre le dividende payable à un bénéficiaire. Dans un tel cas, le paiement demeure un dividende pour le bénéficiaire. Le bénéficiaire paie de l’impôt sur le dividende selon son propre taux d’imposition. La fiducie déduit le montant versé de son revenu.

Si la fiducie entre vifs détient des actions d’une société privée et que la société est vendue, la fiducie dispose alors de ses actions. Si la juste valeur marchande des actions est supérieure à leur coût d’acquisition, il y aura un gain en capital imposable pour la fiducie. Ici encore, la fiducie peut choisir de payer l’impôt sur le gain en capital ou plutôt d’attribuer le gain à un bénéficiaire qui paiera lui-même l’impôt sur le gain en capital. Si les actions vendues se qualifiaient d’actions admissibles de petite entreprise, le bénéficiaire pourrait réclamer sa déduction pour gains en capital de 800 000 $ (cette déduction étant passée de 750 000 $ à 800 000 $ au 1er janvier 2014).  Cette déduction ne peut pas être réclamée par la fiducie. Mais si la fiducie attribue le gain aux bénéficiaires, ceux-ci peuvent réclamer la déduction. Nous référons souvent à cette possibilité comme la multiplication de la déduction pour gains en capital. Vous noterez que même un bénéficiaire mineur peut réclamer la déduction pour gains en capital de         800 000 $.

Règle de disposition réputée au 21e anniversaire

De façon générale, une fiducie est assujettie à la règle de disposition réputée à chaque 21e anniversaire.  Ceci signifie que la fiducie est dans la même position que si elle vendait tous ses actifs. Par exemple, si la fiducie détient des actions d’une société privée qu’elle a payées 100 $ et qui valent maintenant 100 000 $, il y aura de l’impôt à payer sur le gain en capital de 99 900 $. Ce gain est imposable au taux de 24,98 %.  Il existe toutefois des stratégies pour minimiser ou reporter cet impôt.  Par exemple, il est possible de remettre les biens de la fiducie à un bénéficiaire avant le 21e anniversaire. Le bénéficiaire, dans la mesure où il réside au Canada, reçoit les actifs par voie de roulement à leur coût d’origine. L’impôt est alors reporté à la vente du bien ou au décès du bénéficiaire.

Gel successoral

Si vous souhaitez transférer votre entreprise à vos enfants ou si vous désirez fractionner du revenu avec des membres de votre famille, un gel successoral peut être envisagé.  Plutôt que d’émettre des actions directement à votre conjoint et à vos enfants, celles-ci peuvent être émises en faveur d’une fiducie familiale. Lors d’un gel successoral, les actions participantes que vous détenez sont échangées contre des actions de gel rachetables pour un montant égal à leur juste valeur marchande actuelle. Les nouvelles actions participantes sont ensuite souscrites par une fiducie familiale entre vifs pour un montant nominal. Vous pouvez de plus souscrire des actions de contrôle. Les règles d’attribution doivent être analysées dans le cadre de cette planification, surtout si le gel s’opère au niveau d’une société de gestion c’est-à-dire qui n’opère pas une entreprise active, pour éviter des conséquences fiscales fâcheuses.

Le gel permet en fait de fixer votre impôt au décès en fonction de la valeur des actions de gel que vous recevrez. De plus, des dividendes peuvent être payés de votre société, à la fiducie, à un bénéficiaire majeur. Le dividende est imposable entre les mains du bénéficiaire qui souvent, lorsqu’aux études, aura un taux d’imposition inférieur au vôtre ou à celui de la fiducie. Cela permet un fractionnement du revenu et évite que vous ayez à utiliser votre revenu après impôt pour acquitter des dépenses d’études, de vacances ou autres pour vos enfants majeurs.

La fiducie testamentaire i.e. celle prévue dans un testament

AVANTAGES DE LA FIDUCIE TESTAMENTAIRE

Lorsqu’elles sont judicieusement mises en place, les fiducies testamentaires comportent les avantages suivants :

  • La réduction de l’impôt sur le revenu total payable, puisque le revenu des fiducies testamentaires est imposé aux mêmes taux d’imposition progressifs  que ceux applicables aux revenus gagnés par les particuliers. Il y a donc possibilité de fractionner le revenu entre la fiducie et les bénéficiaires. Notons toutefois que le gouvernement fédéral étudie actuellement la possibilité de modifier l’imposition des fiducies testamentaires. Le gouvernement songe notamment à imposer les revenus des fiducies testamentaires selon le même taux que celui applicable aux fiducies non testamentaires soit le taux d’imposition marginal maximal.
  • La protection de l’héritage contre les créanciers, voire les réclamations des biens matrimoniaux.
  • L’assurance que les volontés et les intentions de l’auteur du testament seront respectées.
  • La non-application des règles de la tutelle ou de la curatelle en présence de bénéficiaires mineurs ou inaptes, puisque la détention des biens en fiducie permet normalement d’en éviter l’application.
  • La prise en compte des besoins précis de chaque bénéficiaire dans la gestion des biens par les fiduciaires et l’offre d’une assistance à des bénéficiaires inexpérimentés qui n’ont pas la compétence requise pour gérer eux-mêmes leurs affaires.

FIDUCIE TESTAMENTAIRE ET ENFANTS

Avantages de la fiducie pour enfants

Un parent peut avoir des doutes concernant les qualités de certains de ses enfants à gérer un héritage important.

Pour un parent, il est souvent important que les actifs de la famille restent au sein de la famille et ce, d’une génération à l’autre. Or, comment éviter les revers financiers, les mauvais investissements ou les conséquences financières graves pouvant découler des problèmes matrimoniaux des enfants ? Dans ce contexte, le parent préoccupé peut vouloir intégrer des fiducies familiales testamentaires pour ses enfants et ses petits-enfants à sa planification successorale. La fiducie testamentaire offre une bonne protection contre les créanciers et une protection contre des réclamations matrimoniales, du moins tant que les actifs restent à l’intérieur de la fiducie. Vous pouvez de plus prévoir des limites au versement du capital dans des circonstances précises que vous choisissez, que ce soit en cas d’insolvabilité ou de faillite d’un enfant ou si un enfant a un problème de jeu compulsif ou de consommation de drogues illicites.

Bien des testaments prévoient une liquidation de la fiducie au moment où l’enfant atteint un âge spécifique, que ce soit 21 ans, 30 ans, 35 ans, etc. Or, les testateurs oublient parfois qu’une fiducie testamentaire n’est pas, en soi, un empêchement pour les enfants bénéficiaires d’avoir accès au capital de la fiducie. Dans plusieurs cas, la fiducie est discrétionnaire ou peut devenir totalement discrétionnaire une fois que l’enfant bénéficiaire a atteint un certain âge. L’idée de conserver la fiducie est souvent valable puisqu’elle offre des possibilités de fractionnement du revenu (sous réserve des modifications proposées par le gouvernement fédéral), surtout lorsque non seulement des enfants mais également des petits-enfants sont bénéficiaires, en plus d’offrir une protection non négligeable contre leurs créanciers. En effet, si vos enfants et vos petits-enfants  sont bénéficiaires de la fiducie, le fiduciaire d’une fiducie discrétionnaire peut répartir le revenu de la fiducie entre plusieurs personnes, réduisant davantage le montant des impôts annuels sur le revenu à payer. Dans la mesure où des sommes sont attribuées aux petits-enfants par les fiduciaires, cela permet à vos enfants d’utiliser moins de leur propre revenu après impôt pour le paiement de certaines dépenses pour leurs enfants (soit vos petits-enfants).

La fiducie est généralement flexible au niveau de sa date de liquidation lorsque la valeur des biens détenus en fiducie ne justifie plus le maintien de celle-ci ou si le 21e anniversaire de la fiducie approche. Il faut en effet rappeler qu’un des désavantages de la fiducie testamentaire (autre que la fiducie au profit du conjoint) est qu’il y a une disposition réputée des biens de la fiducie après chaque période de 21 ans. La fiducie est alors réputée disposer de toutes ses immobilisations et l’impôt doit être payé sur les gains accumulés. Or, pour faire face à cette situation, les termes de la fiducie confèrent habituellement aux fiduciaires le pouvoir de liquider la fiducie et de transférer les biens aux bénéficiaires. Ces transferts peuvent généralement être faits en franchise d’impôt. S’il y a distribution des biens aux bénéficiaires, les gains en capital seront alors reportés jusqu’à la disposition des biens par les bénéficiaires ou à leur décès.

Malgré la règle de la disposition réputée des biens à tous les 21 ans, lorsque la protection contre les créanciers est une préoccupation majeure, il peut être justifié de faire payer les impôts résultant de la disposition présumée au niveau de la fiducie afin de conserver le privilège de la protection contre les créanciers. Il en est de même lorsque le bénéficiaire de la fiducie souffre d’une incapacité mentale. Dans de telles circonstances, vous pourriez souhaiter que la fiducie se continue malgré l’arrivée du 21e anniversaire.

Fiducie d’éducation

Si vous avez suffisamment d’actifs pour assurer le maintien du style de vie de votre conjoint et que vous avez des enfants à charge, vous pouvez songer à créer une ou des fiducies d’éducation pour vos enfants à charge dans votre testament qui entrent en vigueur à votre décès plutôt que de retarder la remise de biens en faveur de vos enfants au décès du conjoint survivant. Les dépenses d’éducation telles que celles pour l’entretien, l’instruction et l’éducation des enfants peuvent alors être payées directement par la fiducie pour le bénéfice des enfants plutôt que par le conjoint survivant à même ses revenus après impôt ou à même son capital. La fiducie d’éducation permet alors un fractionnement du revenu avec des enfants ayant généralement peu ou pas de revenu imposable ( toujours sous réserve des modifications proposées par le gouvernement fédéral).

Il est possible d’opter pour une fiducie pour tous les enfants ou de prévoir une fiducie par enfant. Les fiducies individuelles exigent une division des actifs entre les enfants à votre décès et l’administration de plusieurs fiducies, alors que la fiducie familiale permet plus de latitude notamment au niveau de qui recevra le revenu et le capital de la fiducie et dans quelle proportion, selon les besoins de chacun. Si vous voulez vous assurer que votre conjoint aura toujours suffisamment de revenu pour maintenir son style de vie, vous pouvez le nommer comme bénéficiaire du capital de la fiducie. Ainsi, une fois les études des enfants terminées, ou lorsque les bénéficiaires atteignent un âge prévu, le résidu des biens est dévolu au conjoint. Autrement, le capital peut être distribué aux enfants afin de leur permettre de s’établir dans la vie ou de démarrer une entreprise.

Le montant à être légué en fiducie dépend normalement de l’âge des bénéficiaires, de leur nombre, du montant estimé des dépenses d’entretien et d’éducation et du montant disponible dans la succession. Vous voudrez normalement léguer un montant suffisamment élevé de sorte que le revenu puisse couvrir les dépenses. Une telle fiducie peut être créée par un parent mais aussi par un grand-parent.

Janvier 2014

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